Arlette Simon, minimaliste et baroque

En 2008 Arlette Simon créait la surprise à la Biennale internationale de Vallauris avec Serpentines, qui associait le néon à la céramique. Non que d’autres artistes ne l’aient mis en œuvre avant elle, mais l’usage du néon, lumière et gaz, implique sinon l’immatérialité en tout cas légèreté et volatilité, principes plutôt opposés à la matérialité de l’argile. Il suppose aussi un art à caractère urbain, alors qu’en adoptant la céramique il y a quarante ans, Arlette et Marc y avaient vu un moyen de vivre à la campagne. Enfin, l’idée du néon relève du concept chez tous les artistes qui l’ont utilisé. Plus intuitive que conceptuelle, Arlette s’imprègne aussi de la nature, des visions qu’elle lui offre. Mais à l’évidence, il y a une totale autonomie de l’œuvre. L’artiste est venue à la céramique au moment même où les frontières entre les arts commençaient à se dissoudre, et le paradoxe esthétique qu’elle a conduit s’est inscrit naturellement dans ce grand bouleversement qui a vu le fragment, l’accumulation et l’installation déborder l’objet et la sculpture. Les néons prolongeaient des écheveaux de fins serpentins d’argile émaillés de vert ou de rouge, donnant une vigueur inédite à la terre en générant la lumière de l’intérieur.

Arlette Simon se dit très sensible à d’autres univers artistiques en particulier ceux du mouvement, de la danse, de la musique. Mais il ne suffit pas d’être curieux d’autres domaines que le sien pour se les approprier, et surtout pour s’en nourrir en les transformant. Dès la fin des années 80, Arlette était prête pour la rencontre : tout était déjà là, en gestation, dans les Géométrique bleue, des formes circulaires bleu d’azur finement tournées, dont certaines à base pointue évoquaient l’élan de la toupie. Disposées toutes ensemble en carré, elles semblaient amorcer les mouvements en décalé d’un ballet, comme celui des derviches tourneurs.

Par la suite, elle a pris assez de maturité pour associer des partenaires à ses projets comme dans le cas de Périglacaire, une installation complexe composée de plaques de terre émaillées posées de champ et entourées de tubes de terre pliés, de néons bleus disposés au milieu des plaques et d’une boule à facettes au plafond diffusant des taches roses au mur, le tout accompagné d’une bande son de Félix Blume diffusant le bruit d’une éolienne.

Dans cette œuvre impliquant à la fois l’espace et le temps, les tubes de terre sont des tronçons disposés de façon aléatoire selon la technique libre déjà éprouvée avec les enchevêtrements de Serpentine mais d’une toute autre façon. Ces Entrelacs ne sont plus des accumulations de longs serpentins de terre mais des fragments tubulaires courts également librement disposés. Par la suite elle les a érodés, coudés, leur donnant l’aspect souple du caoutchouc ou plus cassant du métal, amenant la terre à d’autres impressions sensorielles.

Outre qu’elle permet une plus grande rapidité d’exécution entraînant la fluidité de la pensée, cette technique de travail par fragments offre des possibilités considérables de prise de possession de l’espace, et de créations plastiques variées. Elle est directement issue des plus anciens procédés d’atelier, ces serpentins et tubes étant fabriqués à la filière, machine qui permettait de faire des anses ou des canalisations en terre. Elle adopte là, pour la céramique, la même distance critique à l’égard de son matériau, l’argile, que celle des peintres du XXe siècle, de Maurice Denis à Support-Surface à l’égard des fondamentaux de la peinture.

Mais ce qui est sûrement le plus surprenant c’est le caractère baroque, dominé par le mouvement, d’une œuvre construite avec des moyens aussi minimalistes.

Carole Andreani, in catalogue Eac Les Roches 2015