Exposition La rose bleue

avec Jean-Baptiste Caron, Nicolas Dhervillers, Maxime Duveau, Delphine Gigoux-Martin, Elsa Guillaume, Cécile Hesse & Gaël Romier, Magali Lambert, Corinne Mercadier et Laurent Pernot, commissaire de l’exposition Leïla Simon

Du 26 juin au 31 août 2016 – ouvert tous les jours de 15h à 19h. Entrée libre

 

eaclesroches_larosebleue16 eaclesroches_larosebleue02

eaclesroches_larosebleue05 eaclesroches_larosebleue07

La rose bleue

Jaune – Jaune – Jaune – Jaune – Jaune – Jaune – Jaune – Jaune – Jaune
JauneJauneJauneJauneJauneJauneJauneJauneJauneJauneJauneJaune
WHOU-OU-OU-OU PLOC-FLOC FLIP BAOUMBADABOUM ! SCRAAAATCH
PLOC-FLOC, FLIP-FLIP – SCRAAAATCH – HOUHOU, WOOOV, VOO BAOUM
 

Mais… Où ai-je bien pu les mettre ? Peut-être qu’elles ont glissé ? Dans la chapelle ? Non je les aurais entendues tomber… Sur le sentier… ? Dans l’herbe… ?
Mouillée, complètement trempée. Je ressens encore la matière froide, lisse, puis martelée, irrégulière. Le contraste de cette blancheur immaculée avec ce rouge vif puis le noir mat crissant entre mes doigts. Ce dernier, à la fois lisse, doux, arrondit et dur, a laissé son empreinte dans le creux de ma main. Le sable et les galets sous mes pieds me l’ont rappelée. Un son me parvient, ou plutôt un grondement sourd, répété mais de façon irrégulière. Non… Il s’agit plutôt d’un grognement ou peut-être bien d’un souffle ? En fait, c’est plus précisément celui d’une respiration, celle produite via un masque à oxygène.
Mais où ai-je bien pu les laisser… ? Sur le contact ? Sur le siège ? L’orage gronde…
Un, deux, trois, quatre, cinq traits jaunes. De les compter m’aide à rester éveillée mais plus j’avance et plus ces traits ne font qu’un. Tout tourbillonne autour de moi. Le ciel gronde. Des lumières vives viennent le parsemer aussi brièvement que ponctuellement.

 

Riders on the storm, riders on the storm,
Passagers de la tourmente, passagers de la tourmente,
Into this house we’re born, into world we’re thrown
Dans cette maison nous sommes nés, dans ce monde nous sommes jetés
Like a dog without a bone, an actor out on loan.
Comme un chien sans son os, comme un acteur de remplacement.
Riders on the storm. Passagers de la tourmente. (1)

 

Shlak Shlak Cuit cuit cuit. Répétitif et régulier. On sent les poils tomber, glisser au sol. Effleurant, chatouillant, se glissant avec parcimonie. C’est à la fois désagréable et appréciable. Je m’enraye. La répétition commence à me bloquer. Je me raidis de plus en plus. Qui suis-je le coupeur ou le découpé ?

Blanc

Mais, ce n’est pas vrai ! Un homard géant sortant d’un meuble ! Toute notion d’échelle a disparu, mes repères se brouillent, mes sens en sont bouleversés. Je suis de plus en plus ensevelie dans une profondeur sans fin mais toutefois palpable tel un voile m’enveloppant sans pour autant me toucher.

Tout est bouleversé, inversé, réorganisé.
Des plumes dans une cage ;
Une cage à lune ;
Un oiseau sans cage.

« N’aie pas peur » me chuchote la poupée à la feuille,
« N’aie pas peur » me murmure le crocodile au coquillage.

Les traits jaunes se répètent de façon régulière pour ne finir par faire qu’une seule et même ligne semblant se dérouler à l’infini.
Impossible de la choper, ni de la stopper. Elle se déroule ainsi de plus en plus rapidement tel le fil d’une bobine.
Celle d’Ariane confiée à Thésée ?
Il y a forcément une fin, c’est sûr il y a forcément une fin…
Le vent claque et tourbillonne. Le tonnerre rugit sans vouloir se calmer. Les éclairs illuminent d’un bleu électrique la noirceur du ciel.

 

I know there’s an answer
Je sais qu’il y a une réponse
I know now but I have to find it by myself
Je le sais maintenant mais je dois la trouver par moi-même. (2)

 

 

Noir

… à tâtons. C’est en effet plus évident. Cette obscurité finit par devenir palpable, elle m’enveloppe je la sens, je peux même la toucher. Elle devient matière, c’est à la fois soyeux doux et en même temps elle m’échappe, me fuit pour mieux m’attirer. Je me laisse happer. Noir ou plutôt un noir gris légèrement bleuté, un noir lauze plus qu’un noir ardoise. Tout semble si léger tel ce ruban d’une blancheur fluorescente flottant par magie dans ce lieu semblant abandonné. Les boules irradient de telle sorte qu’elles semblent délivrées de leur pesanteur.
Avancer, avancer sans se retourner c’est bien la condition imposée par Hadès, Dieu des enfers, pour rejoindre le monde des vivants.

Pour me forcer à me concentrer je compte la signalétique jaune de la route. Les traits se suivent sans relâche.
Plus je les énumère et plus je suis hypnotisée, happée par ce défilement. Ces traits se déroulent ainsi pour ne faire plus qu’une seule ligne.
Le vent siffle à mes oreilles, il se faufile de partout, s’infiltre dans les moindres recoins. L’air est de plus en plus lourd, électrique.
L’orage est prêt, tout près…

 

Funny how secrets travel
C’est marrant comme les secrets voyagent
I’d start to believe
Je commence à croire
If I were to bleed
Si j’étais en train de saigner
Thin skies, the man chains his hands held high
Des cieux fins, l’homme enchaîne ses mains en hauteur
Cruise me blond Cruise me babe
Conduis-moi blonde Conduis-moi bébé
A blond belief beyond, beyond, beyond
Une croyance lumineuse au-delà No return, no return Pas de retour, pas de retour. (3)
 

 

On the road…

On les entend encore où n’est-ce que m’on imagination nourrie par ces affiches et cette route. Les notes, les paroles, le brouhaha du public semblent avoir gelés à jamais à l’instar de ce cactus en fleur. La végétation a réinvesti les lieux préservant toutefois les empreintes indélébiles de cette époque mythique. Suivre, décortiquer les traces pour remonter le fil de l’histoire.

L’oiseau tourne, tourne, tourne via la broche. Quelle beauté ce mécanisme, précis et minutieux.
Tout est bouleversé, inversé, réorganisé.
Des plumes dans une cage ;
Une cage à lune ;
Un oiseau sans cage.

Souffler. La première fois c’est d’un souffle imprécis peut-être même distrait. Ce filet d’air furtif se dépose délicatement sur le miroir. Une lettre apparaît puis deux, trois. Souffler de nouveau mais cette fois-ci avec plus de conviction. Le souffle chaud se dépose sous forme de buée sur la surface lisse. Une phrase apparaît pour aussitôt disparaître. Est-ce un effet d’optique, est-ce un tour que me joue de nouveau mon imagination. Souffler d’un souffle plein d’espoir, les yeux fixés sur un point précis j’en oublie mon propre reflet et là ça y est la phrase m’apparaît en son entier : « And if nothing had ever been ». Puis délicatement elle disparaît, me laissant libre cours à mes pensées.

Je chute, chute, chute dans un tourbillon à en perdre tout point de vue. « Jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien » mais on le sait « l’important c’est pas la chute c’est l’atterrissage ». And if nothing had ever been… Et si rien ne s’était passé… Et si tout ça n’avait été…

 

Strange days have found us
Les jours étranges nous ont retrouvés
And through their strange hours we linger
Et au fil de leurs étranges heures nous languissons
Alone, bodies confused, memories misused,
Seuls, corps égarés, souvenirs abusés,
As we run from the day to a strange night of stone.
Comme si nous passions du jour à une étrange nuit de pierre. (4)

 

 

Leïla Simon, 2016
1 The Doors – « Riders on the Storm »
2 The Beach Boys – « I know there’s an answer »
3 David Bowie – « I’m deranged »
4 The Doors – « Strange days »