Bons baisers de Vacances

Bons baisers de Vacances, titre de l’exposition personnelle de Françoise Pétrovitch à l’Espace d’art contemporain Les Roches, annonce moins l’exposition qu’il ne la termine pour mieux amorcer les échappées dans l’imaginaire des visiteurs. Ce titre est en effet un indice. Cette phrase nous rappelle celle que l’on écrit pour terminer une carte postale par : Bons baisers de… Russie par exemple. Or la plupart du temps les textes écrits sur les cartes postales sont brefs. On y indique le temps qu’il fait et on y énumère nos activités. Texte bref, laissant au destinataire le soin de concevoir tout ce que l’on vit et découvre dans ce nouvel endroit. La photo du recto, une vue d’un paysage paradisiaque, participe également à ceci.

Dans cette exposition, il est question de l’espace des Vacances, sens affirmé par le « V » majuscule. Ce lieu, Vacances, regorge de souvenirs, de désirs, d’idéalisations, d’espérances… Ces sentiments sont, comme on le sait, mouvants voire parfois empreints d’illusions, mais ils nous parlent, même s’ils le font de façon différente selon la personne.

Les œuvres de Françoise Pétrovitch sont souvent empreintes d’ambiguïté. Dans Snowman, le bonhomme de neige n’est finalement pas si féérique que ça ; dans un autre dessin la jeune fille, au visage proche de celui d’une poupée de porcelaine, semble débordée de colère… Les personnages de Françoise Pétrovitch appartiennent tous au monde de l’adolescence, âge que l’on sait parsemé d’ambivalence. Cette étape sensible du développement de la personnalité, dont les enjeux peuvent être déterminants pour l’avenir, rend d’autant plus vulnérable l’adolescent qui connaît au même moment des changements physiques et psychiques le conduisant à des rapports conflictuels avec les adultes et plus précisément avec ses parents. Pendant cette période l’adolescent quitte le cocon de l’enfance, cheminant vers plus d’autonomie. Il se doit de trouver de nouvelles distances relationnelles. Cet âge initiatique le guide naturellement à s’interroger sur la solidité de ses acquis et de ses capacités.

Vulnérabilité qui est malgré tout empreinte de chance car ainsi fragilisé l’adolescent est contraint à l’indépendance et à se forger sa propre personnalité. De nouvelles alternatives s’offrent à lui. Les œuvres de Françoise Pétrovitch reflètent justement ce passage à la fois délicat et riche où se côtoient l’allégresse, l’indifférence et le malaise ; l’insouciance, le désenchantement, l’indolence et la dureté.

De ces œuvres il se dégage un sentiment de mélancolie. Non pas comme nous l’entendons aujourd’hui, un état dépressif, mais comme ce mot était défini dans la pensée antique et dans certaines périodes de l’Histoire de l’Art. Dans l’Antiquité la mélancolie permettait de vivre le deuil (ici ce serait celui de l’enfance), de se dépasser ou encore de trouver un sens à la vie, en d’autres termes, c’est un passage, un temps de crise, n’aboutissant pas forcément à un résultat négatif.

Et comme le relève Jean Starobinski l’attitude mélancolique ne peut-elle pas aussi s’entendre comme une mise à distance de la conscience face au désenchantement du monde. Désenchantement du monde, n’est-ce pas ce que peuvent ressentir les adolescents qui, malgré leurs attitudes équivoques, souhaitent quitter le monde de l’enfance pour intégrer celui de l’adulte ? Le malaise que l’on ressent face à ce qu’on a cru voir et ce que l’on croit finalement percevoir lorsqu’on regarde certaines œuvres de Françoise Pétrovitch serait alors de l’ordre de la melancholiadolescence. Nous sommes à la fois aspirés et tenus à l’écart. Témoins d’un sentiment que nous pensons être familier pour très vite s’en sentir exclus.

A l’instar des personnages, les espaces créés par Françoise Pétrovitch semblent s’être égarés. L’utilisation et la maîtrise du lavis permettent à Françoise Pétrovitch d’obtenir des fonds vaporeux. Ce rendu ne nous permet pas de situer où se déroule la scène. Cet univers, tout aussi nébuleux qu’aquatique, se diffuse jusqu’à déteindre sur les personnages, tel un voile flottant sur les souvenirs. Ces adolescents pourraient tout aussi bien se trouver dans une bulle de bien-être que de malaise. Cet aspect flottant rappelle les sentiments confus dont peuvent être en proie les adolescents, ayant toujours un pied dans l’âge tendre alors que tout le reste du corps se trouve dans un entre-deux explosif. Car il est bien question de corps chez Françoise Pétrovitch, de faire corps. Les corps des adolescents font corps avec la substance des dessins qui eux même font corps avec leurs sentiments ambigus.

Alors que dernièrement les paysages semblaient sur le point d’émerger des personnages de Françoise Pétrovitch (Paysages à l’estomac), le dessin Ile lui offre cette fois-ci le premier rôle. Le paysage a su être digéré pour mieux ressurgir. Il se répand sur toute la feuille. Est-ce un zoom des paysages à l’estomac, de l’inconscient des adolescents de l’artiste ?

Nous sommes face à des images mouvantes, changeantes. Elles nous imprègnent tout en nous glissant entre les doigts comme lorsqu’on rêve. Puis une fois que nous sommes réveillés, les rêves se révèlent sous la forme de bribes fondant comme neige au soleil.

L’artiste nous offre précisément des sensations fuyantes mais pourtant bien présentes, aussi présentes qu’elles disparaissent. Nous avons le même sentiment de frustration et de bonheur que lorsqu’on sent soudainement une odeur qui nous remémore quelque chose mais que l’on n’arrive pas à savoir de quoi il s’agit, tels des flashes qui s’imprègnent dans notre inconscient pour revenir, plus tard, bien plus tard. Les œuvres de Françoise Pétrovitch à l’instar des rêves, sont faites d’une substance vaporeuse et insaisissable où les souvenirs et l’oubli s’entremêlent nous offrant ainsi l’opportunité de vagabonder dans nos souvenirs, dans notre propre imaginaire. Ceci reflète bien les préoccupations de l’artiste qui sont moins narratives que picturales.

Mais où sommes nous ? Que nous arrive t-il ? Nous voilà embarqués dans des traversées d’angoisse mêlée d’enthousiasme. Françoise Pétrovitch nous entraîne dans un monde à la lisière du rêve et du cauchemar. Les choix picturaux de l’artiste nous donnent l’impression qu’une présence obscure est en train de se manifester, se tenant dans l’ombre, aux aguets. Cette ventriloque embrasse t-elle sa marionnette ou lui susurre t-elle de vilains secrets à dévoiler ?

Les céramiques de Françoise Pétrovitch participent également à ces impressions. L’aspect précieux et délicat des sculptures en céramique nous séduit mais là aussi une observation attentive sème le doute en nous. Demi-lapin assis ; tête de lapin bleu ; petite femme au glaçage blanc rappelant les malchanceux bonshommes en pain d’épices ; oiseau couché dont l’éclat de l’émail contraste avec sa position qui laisse plutôt penser qu’il a rendu l’âme. Le ventriloque aux yeux fermés a beau sourire sa marionnette ne se veut pas pour autant rassurante. Est-il goguenard à l’idée de ce qu’il nous prépare ? Va t-il nous bouleverser par ses déclarations ou nous faire rire ?

L’univers de Françoise Pétrovitch est aussi empreint d’humour, de malice. La vidéo Les photos de vacances des autres n’intéressent personne en donne le La. Des souvenirs de vacances racontés puis contés par la voix off d’un comédien alors que sont diffusées au même moment des photos sur lesquelles est intervenue l’artiste. Les souvenirs des personnes interrogées deviennent ainsi ceux des autres. Le visiteur peut s’en emparer pour mieux se souvenir.

Suite à l’exploration des mondes créés par Françoise Pétrovitch, le visiteur se retrouve lui aussi à flotter au-dessus de ses œuvres comme dans ces univers oniriques, quitte à basculer soudainement dans le rêve ou le cauchemar. Ses impressions ainsi bouleversées, il finit par faire corps avec les œuvres. Le travail de l’artiste a fini par déteindre là aussi mais cette fois-ci sur le visiteur.

Leïla Simon,
Commissaire de l’exposition Bons baisers de Vacances à Eac Les Roches