Dans le cadre des Lectures sous l’arbre, est organisée une rencontre avec Claire Tabouret et Leïla Simon le vendredi 23 août de 18h30 à 19h30 à Eac Les Roches.

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Claire Tabouret, Passeur de Temps où il est question de regards

L’intérêt de Claire Tabouret pour les réflexions contemporaines de la peinture tels que la réinterprétation d’images déjà médiatisées(photographies d’actualité) et/ou leur manipulation (zoom, montage, hors-champ) lui permet de traiter des thèmes essentiels de notre société.

Alors que nous sommes submergés d’images, Claire Tabouret choisi d’en retenir certaines. Ce tri peut s’opérer sur le net ou parmi des souvenirs de famille. S’inspirant de ces photos, elle les transforme, se les approprie pour en donner un autre résultat, son propre regard.

Cette démarche frôlant l’expressionnisme ne tente pas de faire croire à une authenticité première. En fait, ce qui est actif dans ses tableaux, c’est une sorte de sentiment réfléchi, riche de sens. Ses peintures nous appellent et comme le décrit Roger de Piles, elles pensent sans mots. Elles nous attirent, nous fixent, nous parlent, nous incitant à nous arrêter. La silencieuse puissance de la peinture dont parleEugèneDelacroix s’avère en effet dévoiler la pensée plus ou moins consciente de l’artiste.

Telle les peintures d’Histoire celles de Claire Tabouret sous-tendent un message. Elles manifestent un moment tragique actuel tout en le replaçant dans l’Histoire de l’Art. En effet, nous ne pouvons pas ne pas penser, entre autre, au Radeau de la Méduse de Théodore Géricault. Il est aussi question, chez Claire Tabouret, de contestation de ce qui se passe ou plus précisément de ce qui ne se passe pas. Elle a l’audace de saisir et de porter ces sujets aux dimensions d’une grande toile. Elle métamorphose un banal cliché trouvé sur internet en un moment fort et saisissant. Ses peintures raccordent non seulement l’Art mais aussi l’Histoire de l’Art à l’actualité politique, sociale, économique…

Claire Tabouret nous invite non seulement à constater mais aussi à décrypter et à trier les informations que nous recevons. En effet, De l’autre côté présente des peintures où les sujets devenus tellement banals nous laissent plus ou moins indifférents. La peintre nous permet par cette représentation de dévoiler les couches du réel, d’avoir une lecture en profondeur, de formuler nos pensées. Car il y a en effet une nécessité à montrer ces sujets, à prendre le temps de les regarder. Ces migrants dont le voyage est simultanément forcé et volontaire, imprégnés de rêves de liberté et de tranquillité plus ou moins fantasmés et peut-être aussi redoutés, doivent nous interpeler, nous toucher dans notre condition de citoyen.

Nous ressentons le poids des présences et des regards des personnages pourtant terriblement muets. Ils semblent saisis dans une temporalité incertaine, comme si ils étaient endigués dans un espace-temps entre deux rives. Un profond et vague sentiment d’errance, de perdition et de solitude est ainsi renforcé. Cette suspension du flux temporel peut toutefois éclater à tout instant. Ils nous regardent, nous les regardons, de cet échange peut naître un retour à la case départ ou l’atteinte de la liberté. Ce climat étrange est aussi accentué par ces ambiances nocturnes, aqueuses voire orageuses.

Le travail sur les ombres et la lumière est récurent chez Claire Tabouret. C’est ainsi que les crevasses d’un visage, par exemple, renforcent un traitement de la lumière façon clair-obscur. Mais il ne s’agit pas seulement d’un ordonnancement d’ombres portées qui implique une lumière. Si quelquefois des éléments sont éclairés alors qu’un autre devrait le tenir dans l’ombre c’est que ce premier élément est de la peinture avant d’être de la représentation. Claire Tabouret met en évidence une identité, un récit qui répond aux nécessités de sa peinture.

Chaque visage est certes singularisé mais la gestuelle contribue à la fois à les définir comme des individus à part entière et comme des abstractions. A l’instar de Thomas dans Blow up, plus Claire Tabouret zoom sur un détail, plus ses peintures, ses portraits confinent à l’abstraction. Plus le spectateur se rapproche, plus ces portraits ont un aspect flouté.

Cette artiste peint non seulement des personnes mais aussi le passage du temps, le passage entre deux espaces, le passage en tant que métaphore. Ses peintures sont travaillées par plusieurs temporalités. Les temps s’enchevêtrent montrant ainsi qu’il n’y a pas un seul temps.

Avec la durée les couches de sens, de réflexions conscientes ou inconscientes du peintre apparaissent peu à peu, créant ainsi une intimité entre le spectateur et la peinture.

La notion de temps est aussi présente avec ces couleurs, le plus souvent délavées, voire épuisées et ces dégoulinures, tel un filtre, un rideau créant une mise à distance.

Claire Tabouret s’inscrit dans l’actualité par les thèmes retenus mais aussi par sa démarche artistique nous rappelant celle de peintres contemporains tel que Luc Tuymans, Marlène Dumas… Les retraits, les ajouts, les renvois contribuent à nous démontrer que nous n’avons pas sous les yeux un fragment existant, mais une image construite par l’artiste. Tel un passeur, Claire Tabouret nous apprend à voir, à nous positionner.

Leïla Simon, commissaire de l’exposition De l’autre côté,
in catalogue Eac Les Roches 2013

Pour lire l’article de Philippe Piguet à ce sujet dans La Belle revue :

http://www.labellerevue.org/chroniques.html